Leggo "Le Monde" - giornale che resta un caposaldo dell'informazione - e mi vengono i brividi nella breve presentazione di un articolo, che è in realtà una lettera, firmata prevalentemente da medici, ad un'anziana paziente colpita e uccisa dal "covid-19". Lettera che è avvolta da molta umanità e pone problemi etici e giuridici seri e difficili in un quadro di ragionevolezza e affettuosità. Questo l'incipit: «Dans une adresse émue à une patiente âgée, qui a choisi de ne pas occuper le dernier lit disponible en réanimation et est décédée des suites du "covid-19", trois réanimateurs et une sociologue disent la nécessité et la difficulté d'avoir à faire un choix qui donne "la priorité à la collectivité"». Segue la lettera, rispetto alla quale bisogna prepararsi ad un flusso di emozioni e credo che non ci sia davvero nulla da aggiungere.
«Chère Madame Denise, Vous ne lirez pas cette lettre. Cet écrit est pour vous rendre hommage, tant vous rencontrer aura été fondateur dans notre façon d'être médecins. Nous pensons souvent à vous depuis cette soirée de mars où vous vous êtes présentée aux urgences le souffle court, avec tous les autres signes de l'infection par le SARS-CoV-2. Ni votre vieux cancer presque guéri, ni votre insuffisance cardiaque, ni même votre âge avancé n'ont empêché votre admission en réanimation. C'est vous qui avez pris cette décision, qui avez exprimé vos préférences. Vous ne vouliez pas occuper cette dernière place dans le service, vous vouliez la laisser à vos enfants et à vos petits-enfants. Vous aviez besoin de tellement d'oxygène que vous vouliez être sûre qu'il en resterait pour tout le monde. Il y en avait pour tout le monde. Longtemps nous avons pensé que nous avions influencé votre attitude en répondant à vos questions. Pourtant c'est vrai, quand l'oxygène ne suffit pas, les machines de réanimation ne sont là que pour laisser du temps aux poumons infectés de guérir, quand ils guérissent. Dans le meilleur des cas, cet environnement technique, sonore, et parfois agressif, laisse des séquelles physiques et psychologiques prolongées chez les malades qui parviennent à se sortir de la maladie respiratoire, et aussi chez leurs familles et leurs proches. Souvent, malheureusement, les patients ne survivent pas à ce périple et les familles endeuillées restent longtemps affectées, elles-mêmes meurtries. Je me souviens de notre rencontre, de votre regard, de votre pudeur et votre dignité quand je vous examinais sous l'œil inquiet de l'urgentiste fixant votre saturation en oxygène. Vous ne vous plaigniez pas, votre souffrance était silencieuse. Nous avons cherché à comprendre comment des moyens simples pouvaient améliorer votre situation. Avec ma collègue urgentiste, l'infirmière et l'aide-soignant qui s'occupaient de vous ce soir-là, nous nous sommes assis un moment. Nous cherchions à comprendre ensemble votre situation à partir des éléments objectifs dont nous disposions. Nous voulions prendre la meilleure décision, avec vous et cette nécessité impérative de respecter votre volonté. En discutant par téléphone avec votre fils, nous voulions échanger avec lui de vos préférences et du projet que nous partagions. Nous sommes convenus de votre fragilité antérieure et de la gravité de votre situation actuelle. Nous avons acquis la certitude que la réanimation ne permettrait pas de vous réinscrire dans votre trajectoire de vie. Soyez assurée que nous avons acquis cette certitude indépendamment du contexte sanitaire de tension du système de soins à ce moment-là. Ces réflexions sont le quotidien des réanimateurs. En vous admettant en réanimation, nous aurions pris le risque certain de nous obstiner vainement à éviter une issue inéluctable, au prix d'une souffrance potentielle pour vous ou vos proches. C'est pourquoi nous avons estimé n'avoir aucune raison de questionner votre volonté, comme nous aurions pu le faire si celle-ci nous était apparue inappropriée. Votre décision de ne pas occuper ce lit de réanimation pour le laisser à d'autres, et votre perception que les machines viendraient s'obstiner de façon déraisonnable pour prolonger vos souffrances, et non pas votre durée ou votre qualité de vie, ont prévalu. Nous n'avons pas cherché à vous convaincre car nous pensions la même chose que vous. Echanger avec votre fils a été précieux. Nous partagions en fait, vous, nous et vos proches, un même projet de soins. Et surtout, cette décision a été prise avec vous, indépendamment de votre "statut covid", et de la même façon que si vous vous étiez présentée à l'hôpital dans un autre contexte, avec une autre pathologie grave. Nous nous souvenons, Madame, qu'après que vous avez été installée dans votre chambre en hospitalisation conventionnelle avec vos proches, nous sommes venus vous voir à deux reprises, aussi pour parler à votre fils et à vos petits-enfants. Nous avons également cherché à rassurer les infirmières qui nous demandaient du regard si on ne pouvait pas "essayer" quelque chose en réanimation. Dans d'autres circonstances, nous aurions pu être amenés à réévaluer la situation quotidiennement quant à une admission potentielle en réanimation, là nous leur avons rappelé la nécessité de respecter votre volonté, le cheminement décisionnel qui avait été le nôtre, et notre refus, à vous et à nous, de nous diriger vers un acharnement thérapeutique. Avec nos collègues de médecine, nous avons continué à prendre soin de vous, à vous apporter tout le confort possible dans ce moment difficile. Nous avons cherché à vous laisser partir accompagnée de vos proches. Vous étiez paisible. Nous n'oublierons jamais la sérénité et la douceur de vos grands yeux noirs. Nous n'oublierons jamais que vous nous avez demandé d'aller nous occuper des patients qui avaient des chances de s'en sortir. Vous étiez à quelques jours de la fin de votre vie, mais votre sourire était celui de toujours. Revenu dans le service de réanimation, j'ai eu un sentiment étrange devant cette chambre vide que vous auriez pu occuper. Elle venait d'être libérée par un patient transféré à 800 km de là, dans une région épargnée par l'épidémie. Dans cette chambre vide, un patient a été admis moins d'une heure plus tard. Il n'avait pas d'infection au SARS-CoV-2 mais une méningite qui le faisait convulser et nécessitait la mise sous coma artificiel rapidement. Sachez, chère Madame, que dans ce contexte épidémique extraordinaire, nous sommes parfois obligés de choisir le/la patient(e) à qui nous accordons la dernière chambre, le dernier respirateur, par rapport à celle/celui qui pourrait en bénéficier. C'est un choix qui n'en est pas un, ou en tout cas pas un choix empirique tant nous en mesurons l'impact et les conséquences pour les patients, pour leurs proches et pour les soignants. Comment résoudre ce conflit moralement et émotionnellement difficile? En cherchant toujours à privilégier le patient pour lequel notre intervention a le plus de chances de succès, que ce soit pour la durée de sa vie ou sa qualité. En aucun cas, nous n'aurions pu nous résoudre à tirer au sort ou encore à attribuer cette dernière chambre disponible au premier patient arrivé. Nous condamnerions ceux qui se présenteraient ensuite avec plus de chances de survie. Chère Madame, nous vous savons gré de cette expérience médicale, humaine et sociale inédite. Nous penserons à vous à chaque situation dans laquelle une décision difficile devra être prise. Nous nous souviendrons de vos paroles et de la nécessité absolue de toujours aller à la rencontre de chaque patient pour évaluer sa situation dans toute sa singularité. Nous nous souviendrons de ce moment de discussion avec nos collègues des urgences, et de la nécessité absolue de toujours se concerter avant de décider. Nous nous souviendrons du regard de votre fils comprenant le caractère inéluctable de la situation, et de la nécessité absolue de toujours laisser une place aux proches dans la décision et dans l'accompagnement. Nous nous souviendrons de la chambre vide que vous auriez pu occuper, et de la nécessité de penser que la priorité donnée à un individu peut être supplantée par la priorité donnée à la collectivité, à condition de préserver les principes fondamentaux et les valeurs du soin. Dans des situations de fin de vie en réanimation, nous incitons toujours les familles des patients à prendre le temps de dire au revoir à leur proche, car plusieurs semaines ou plusieurs mois après ce décès, les familles qui n'ont pas pu dire au revoir peuvent le regretter et vivre un deuil encore plus compliqué. A notre tour, Madame, de vous dire au revoir. Et merci encore pour cet échange si riche d'enseignements».