Le retour de la neige m’a fait revenir aux hivers de mon enfance ou, si vous le préférez m’a fait vivre les joies des enfants, dans mes habits d’adulte. Je n’ai pas envie de vous proposer les statistiques des derniers hivers, mais la sensation d’une saison caractérisée par de nombreuses et fréquentes chutes de neiges - cela était normal dans les années Soixante ou Soixante-dix - a été une agréable réalité. Depuis des années on vivait une sorte de désir inexprimé de neige, avec des hivers à peine blancs et bien plus chauds que d’habitude, ce qui rendait le paysage bien différent de celui de nos rêves. Par ailleurs voir une nature nue, dépouillée, sans neige, créait des situations inquiétantes, qui alimentaient les conversations classiques. Vous connaissez : «Les saisons ne sont plus le mêmes?» Personne ne peut dire ne pas l’avoir dit, peut être en ressentant tout de suite après l’envie de ne pas avoir prononcé une phrase tellement évidente, au point que le sourire l’accompagne toujours. Je trouve que le retour de l’enneigement abondant au pieds des vallées et en hauteur a une double valeur, pour la collectivité et pour chaque individu. C’est ce qui caractérise les événements de la vie, partagés entre une dimension personnelle et intime, refermée dans le cadre des expériences qui n’appartiennent qu’à chacun de nous, et une dimension collective à plusieurs voix, qui recueille les idées et le patrimoine de la communauté. Il existe une sorte de frontière entre les deux, qui finit par créer osmose et continuité.
Pour ma part, je joui d’un hiver qui mérite ce nom. Si je devais choisir entre chaleur et froid, je n’aurai aucun doute: le froid. Je sais que c’est banal, mais tu peux te protéger du froid, alors que tu ne peux fuir la chaleur que avec cette sorte de cercueil de glace qui est l’air conditionné. Quand il neige on vit deux moments distincts: d’abord la vraie chute de neige, qui peut évoquer pour chacun de nous des instants du passé, et ensuite l’après, fait de gestes, de comportements, de panoramas qui ouvrent un monde de souvenirs. Un objet suffit pour nous comprendre: une pelle, un bonnet avec des gants, les chaînes à monter sur les pneus, l’empreinte des chaussures, les mains mouillées et gelées et ainsi de suite. Je me rappelle avant tout des grandes journées de ski sous la neige, lorsque la préparation des pistes était artisanale, ainsi que les matériaux techniques. Ou bien des bonhommes de neige, jamais aussi beaux que ceux des bandes dessinées. Ou encore des voitures que nous faisions glisser dans les parkings, lorsque les mécanismes anti-glissement qui empêchent de faire des embardées n’existaient pas. Et ensuite on a le patrimoine collectif. La neige est un élément fondamental de l’identité alpine. On ne peut pas penser aux montagnes sans rappeler les images des cartes postales. C’est la base indispensable pour l’industrie du tourisme d’hiver qui, faute de neige, n’a pas la matière première qui permet de skier. Ma génération a vécu avec stupeur la multiplication des canons pour l’enneigement artificiel, placés toujours plus en haut. Canons puisqu’ils rappelaient la forme de cet objet, mais également parce qu’ils combattaient une vraie bataille contre la Nature qui ne fournissait plus l’élément indispensable pour avoir des pises de ski. De plus elle rendait difficile la production de la neige artificielle en élevant lentement la limite du zéro thermique, indispensable pour avoir ces cristaux - merveilleux à observer au microscope - qui forment la neige. Le blanc par définition, dans les rimes des poètes, parce que celle-ci est la couleur que nos yeux perçoivent, face à un mélange multicolore tel qu’elle est. Voilà donc les raisons d’un frisson de plaisir qui a parcouru notre Vallée cet hiver, malgré les mésaventures et les problèmes qui en dérivent. Nous avons tous été pris par le charme et nous avons tous espéré que les chutes de neige de cet hiver ne soient pas une exception, mais qu’elles représentent le retour de quelque chose de beau. Expliquons-le aux enfants qui n’en ont pas le souvenir!